jeudi 3 décembre 2009

Colonisation et échanges linguistiques -2-

Rappelons –le, il n’est nullement question de faire ici le procès de la colonisation, ni de nier ses apports culturels (souvent imposés par la force, d’ailleurs) mais de voir comment une culture dominante, se laisse « infiltrer », modeler en un mot influencer par la culture qu’elle prétend émanciper, « civiliser » disait-on à l’époque.

L’exemple de l'Algérie –colonie de peuplement- et donc cas pratiquement unique dans le genre est particulièrement éloquent à ce sujet.

Dans le cas de ce pays, il y a plusieurs paramètres socio-historiques à rappeler pour permettre de comprendre les phénomènes linguistiques originaux que l’histoire coloniale –tourmentée- a engendrés.

2.1 : En dépit de la propagande coloniale de l’époque (et qui a longtemps survécu), la France n’a pas conquis un pays « vierge », sans état, sans structures, avec justes quelques peuplades vivant dans un néant culturel absolu ! Certes, l’Etat vaincu était déjà une régence sous domination Ottomane , la langue arabe y était déjà exclue de tous les domaines de l’administration du fait de la présence turque, mais elle était omniprésente , sous sa forme dialectale dans tous les aspects de la vie quotidienne.

2.2 : Les décrets « Crémieux » ont permis aux tribus juives algériennes autochtones, installées là depuis des siècles d’accéder à la nationalité française. Or, ces tribus, portant souvent des noms arabes étaient parfaitement arabisées et comptaient dans leurs rangs nombres de gens lettrés, sinon érudits aussi bien en Hébreu qu’en Arabe.

2.3 : Les vagues successives de colons –de diverses origines- que la France faisait installer en Algérie, n’atterrissaient pas en terrain linguistique vierge ; bien au contraire, les nouveaux colons devaient très vite faire face à la réalité linguistique du pays pétri de langue et de culture arabes, malgré le côté « apartheid » qu’avait cette colonisation, et le désir des minorités européennes de s’isoler de ceux que l’on appelait les indigènes.

De tout ceci il en découle que les colons, baignant dans un environnement fortement arabisé, eux-mêmes issus d’origines diverses (Italiens, portugais, Espagnols…) ont peu à peu donné naissance à une langue originale, entre la langue de Molière et l’arabe dialectal dans sa version de l’époque, c’est à dire probablement assez proche du classique. C’est ce que nous appelleront par commodité, et faute de mieux « le parler pied-noir ».

Outre les curiosités syntaxiques de ce parler que les rapatriés ont rendu célèbre en France, citons quelques termes qu’ils ont ramenés dans leurs bagages et popularisés en France :

Kaoua

قهوة

Toubib

طبيب

chouia

شوي

bézèf

بالزاف

bled

بلد

Certains socio-linguistes vont jusqu’à dire, que si l’histoire avait évolué autrement et si l’aventure coloniale avait connu un dénouement pacifique et plus constructif, il se serait crée une véritable langue originale à mi-chemin entre le Français et l’Arabe, un peu à la manière du français québécois, toute propension gardée !

Cependant, si ce « parler pied –noir » a laissé des traces indélébiles dans le Français tel qu’il est parlé aujourd’hui encore en Algérie , il a peu influencé syntaxiquement le Français de France, malgré la forte folklorisation d’une certaine culture que les pieds-noirs d’Algérie ont réussi à imposer dans l’hexagone.

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