jeudi 3 décembre 2009

Le phatique

nous employons ce néologisme linguistique pour désigner tout mot ou expression qui permet d’amorcer une conversation ou de l’entretenir en cas de discours continu : Allo ? Pour rentrer en contact avec la personne qui appelle. Je veux dire….. C’est à dire que…. Les mots ou expressions phatiques d’origines arabes sont légion. Dans le langage des jeunes :
- walla : والله = par Dieu, par Allah = je te jure par Allah = je t’assure que….
- Billa :بالله = même sens.
Bien sûr, d’autres langues que l’arabe travaillent ce langage jeune ; nous vous en ferons part au fur et à mesure de nos investigations auprès des jeunes eux-mêmes.

Verbes substantivés :

- Chouffe = voir en arabe dialectal. Cela donne en parler djeunn’s :
-
faire la chouffe = faire le guet.
- Le seumm : le poison en arabe.
- J’ai le seumm
= j’ai la rage, la haine.
C’est aussi semble-t-il le nom d’une drogue spéciale. Cynique, le milieu…

De l’arabe francisé et « verlanisé » :
- Bled = بلاد . En arabe, pays ou région. Blédard chez les jeunes ne signifie pourtant pas comme chez les adultes plouc, paysan, mais plutôt raté, maladroit, cancre… Il est surtout utilisé dans sa version « verlanisée » : darblé.

Des intrus « zarbi » : Nous perdons malheureusement dans le mouvement le savoureux « zaama » (soit-disant) au bénéfice du bizarre crari lequel, c’est sûr, n’a rien d’arabe !
- Crari, il joue le ouf = zaama il joue le fou
= soit-disant il fait le con ; il se la joue (il se ment à lui-même).

Les jeunes d’origine africaine et musulmans ont bien sûr leur part d’apports dans ce langage en constante mutation, notamment avec des expressions d’origine religieuse qui ont transité par les accents dialectaux africains :
- Starfoulay (prononcer starfoulaï) = أستغفر الله je demande l’aide de Dieu.
- Layester = يستر الله que Dieu protège.

Le parler "beur" expressions courantes

Voici d es traductions directes de l’arabe, sans soucis du sens réel du terme employé en Français :
- « il ne m’a pas calculé » , pour dire, « il ne m’a pas pris en considération, il n’a pas fait attention à moi ». Cette expression vient de l’arabe :
ما دارنيش في الحساب ، ما حسبنيش
le verbe حسب ، يحسب = compter, calculer
Ce qui rejoint d’ailleurs l’expression purement française « tenir compte de… ». Sans passer par la traduction, de nombreux verbes arabes sont utilisés directement, mais pour éviter les difficultés morpho-syntaxiques, ils le sont à l’état « figé » c’est à dire sans égards ni pour les règles de conjugaison du Français , ni pour celles de l’Arabe :
- hagar =
حقر - يحقر . Etymologiquement, en arabe littéral ce verbe signifie : mépriser ; en arabe algérien il a pris pour sens : commettre une injustice - dans le sens d'abus de pouvoir, de force - , mais aussi faire violence à quelqu’un . Ainsi, on entend chez les jeunes : « tu t'es fait hagar « = tu t'es fais taper. Mais aussi : « tu t'es fais hagar ton portable « ! ! !
- Khaf : خاف - يخاف (kh = prononcer à l’espagnol , jota, juan). En arabe = avoir peur. On entend ; il a khaf = il a eu peur. Sans commentaire. Inversement, des verbes français sont arabisés, mais curieusement utilisés aussi à l’état figé : afficher, s’afficher, faire l’affiche = ficha. ( Ainsi utilisé, il correspond en arabe à l’accompli, 3 ème personne du masculin singulier = équivalent de l’infinitif français).
- Ho la la ! il s’est ficha devant les filles !
= il s’est planté , il s’est ridiculisé.

Au delà de ces distorsions syntaxiques, il y a évidemment beaucoup de substantifs arabes incrustrés avec une prononciation française qui les rend parfois méconnaissables :

- lahas : en arabe, léche-cul, flagorneur . En parler banlieue, il a changé de sens :
- c’est la has
= c’est la galère !
Appliqué à un individu :
- il est dans la has
= il est en taule…

- la halla :
en arabe littéral, la situation, l’état des choses . En arabe algérien , ambiance, quelque chose d’événementiel, qui ne passe pas inaperçu. On entend :
- faire la halla = faire la fête, mais aussi faire du grabuge !

Beaucoup de termes, FEMININS en arabe, deviennent curieusement MASCULIN en passant au Français :
- LE dawa : synonyme de hâla (la halla) en arabe algérien a pris le sens de pagaille, bordel :
- foutre le dawa
!
- LE terma
: le cul .
- Elle a UN gros terma.

(Sans doute parce que les termes cul et bordel sont au masculin en Français).

Mutation du Français au contact de l’Arabe maghrébin -4-

La mère, justement. Contrairement aux poncifs qui font de la femme arabe un être soumis, écrasé, la mère joue un rôle pivot dans l’équilibre de la famille et de la société en général. Tant est qu’elle devient un enjeu suprême en cas de conflit : l’insulter, insulter celle de l’Autre, c’est lui infliger une ultime humiliation : Ta mère ! ! yemmâk ! ! Allier la grossièreté sexuelle , voir l’inceste, c’est faire encore plus fort : nike ta mère ! ! ! Nike yemmâk ! ! ! Qui a donné le fameux NTM .

Précisons à toute fin utile que le verbe « niquer » est arabe et que s’il est indisponible dans les dictionnaires arabes, c’est que probablement il s’agit de la contraction du verbe nakaha (présent dans le Coran et qui signifie contracter mariage mais aussi par extension copuler dans le cadre du mariage).

Sur la tête de ma mère : vient directement de l’expression arabe u râs yemma !

Sur la vie de ma mère = u rûh yemma !

L’index raidi, levé vers le ciel (signe de la shahâda qui est la profession de foi musulmane) le jeune lance à la cantonade : « sur la tête de moi ! ». Traditionnellement, la grammaire n’admet pas l’emploi du pronom personnel « moi » après la préposition « de ».Nos éminents linguistes qui méconnaissent l’arabe se grattent la tête, perplexes : d’où ce monstre syntaxique peut-il provenir ? Mais de l’arabe, pardi ! L’arabe dialectal utilise le terme ntâ’ (de… propriété de…) suivi d’un pronom affixe : ntâ’I (à moi , de moi) . Ar-râs ntâ’I = la tête à moi .

A propos du terme râs qui signifie tête, l’arabe dialectal « populaire » s’est approprié

le terme français « race » au sens non pas raciste et sans référence au genre ethnique mais plus benoîtement au sens de catégorie , genre, spécimen…

Cela a donné malheureusement : « nike ta race » = nike ar-râssa ntâ’ak !

Dans le langage « djeun’s, cette expression un peu glaçante pour des adultes signifie pourtant simplement, au choix :

- des gens comme toi , je les casse ; ou je m’en fais dix par jour.

- des gens dans ton genre, vraiment, j’aime pas.

Très souvent, l’adverbe passe en fin de groupe syntaxique. C’est là encore une particularité de l’arabe même littéral . On entend :

il a niqué son examen carrément !

Notons au passage le verbe niquer en remplacement du verbe rater (décidément !)

Des expressions curieuses comme

« vas-y ».

Dites dans des cas où le jeune est pris en défaut, où il subit des remontrances. A priori, un adulte non averti pourrait comprendre : « vas-y, continues, tu as le pouvoir sur moi etc…. ». Rien à voir ! L’expression signifie : vas te faire foutre ! Et à notre sens elle vient là encore de l’arabe « populaire » : rûh takhra = vas chier (ailleurs) !

Frère :

Autant que la mère, le frère a une place prépondérante dans la culture familiale et par extension dans tout le système social. Les maghrébins, depuis des lustres ont remplacé le terme de sayyid (Monsieur), jugé trop obséquieux par le terme de KhÛ, suivi d’un pronom affixe. khûya signifie à la fois « mon frère » au sens familial du terme, mais aussi plus trivialement : mon ami, mon cher, mon compatriote, voir « monsieur »…

Les jeunes l’emploient (même entre filles !) pour signifier connivences, amitiés, complicités….

Parler djeunn’s et arabe dialectal -3-

En revanche, l’émergence des « beurs » dans la société française , notamment depuis l’alternance politique de 1981 a permis l’éclosion d’un nouveau langage, parti des banlieues défavorisées pour rayonner jusque dans les quartiers chics de la capitale en influençant au passage même les médias et les milieux intellectuels !

Bon nombre de linguistes observent avec intérêt ce phénomène linguistique, certes pas nouveau (l’argot a toujours existé et le peuple « pauvre » a toujours pris ses libertés avec le langage et le parler « correct » imposé souvent par les classes dominantes). Cet intérêt, vient sans doute du fait qu’il ne s’agit pas là simplement d’un argot ( l’argot est toujours resté amarré à la langue-mère sur le plan syntaxique ; la fronde se manifestait surtout sur le plan lexical, avec l’invention constante et truculente de mots nouveaux en remplacement des termes usuels imposés par l’école et les milieux bien-pensants). Là, il s’agit bel et bien d’une petite révolution linguistique où la sacro-sainte syntaxe de la langue de Voltaire est sérieusement malmenée, en plus des innovations lexicales. Le plus étonnant, est que cela marche ! Et ça plaît…En tout les cas ça amuse… Sans que les plus éminents observateurs de ces phénomènes ne réalisent que derrière les curiosités langagières qu’ils constatent, il y a tout simplement … la langue arabe, dans sa forme dialectale « primaire », pour ne pas dire primitive !

Ces deux derniers termes méritent bien sûr, explication.

3.1 : De l’arabité supposée des jeunes issus de l’immigration et nés dans les « quartiers ».

Pour une grande majorité de Français, cela paraît évident : ces jeunes, nés de parents arabes parlent forcément l’Arabe et sont de culture arabe et musulmane.

La réalité, évidemment est beaucoup plus complexe. Ces jeunes, descendants le plus souvent de plusieurs générations de populations immigrées ne sont, dans leur grande majorité pas dialectophones et n’ont qu’une connaissance très modeste de la culture arabe (pour ne pas dire nulle) et de la religion musulmane. Très souvent, la seule occasion pour eux de « pratiquer » l’arabe , c’est dans leurs rapports avec la mère, quand celle-ci, si elle-même n’est pas née en France fait l’effort de leur parler dans sa propre langue maternelle, c’est à dire dans une langue dialectale très locale qui n’a pas évolué depuis la date à laquelle la famille et/ou les ascendants ont quitté le pays d’origine.

Dans ce cas de figure (le phénomène est bien connu des socio-linguistes), la mère parle dans son « patois » local, avec un mélange de Français déjà fortement arabisé sur tous les plans : syntaxe, prononciation, lexique ; l’enfant comprend mais répond exclusivement en Français. Conclusion, les jeunes n’ont qu’une connaissance passive de la langue et réduite aux rudiments nécessaires aux échanges quotidiens. Autrement dit, ces jeunes baignent dès leur plus tendre enfance dans un bain linguistique « Francarabe » où ni la langue française ni l’Arabe ne trouvent vraiment leur compte. C’est dans ce « no man’s Land » linguistique que va s’opérer l’étrange alchimie (encore un mot arabe !) qui donnera lieu à ces fameux parlers de banlieues qui donnent la migraine aux linguistes et font les délices des intellectuels, journalistes et écrivains.

Colonisation et échanges linguistiques -2-

Rappelons –le, il n’est nullement question de faire ici le procès de la colonisation, ni de nier ses apports culturels (souvent imposés par la force, d’ailleurs) mais de voir comment une culture dominante, se laisse « infiltrer », modeler en un mot influencer par la culture qu’elle prétend émanciper, « civiliser » disait-on à l’époque.

L’exemple de l'Algérie –colonie de peuplement- et donc cas pratiquement unique dans le genre est particulièrement éloquent à ce sujet.

Dans le cas de ce pays, il y a plusieurs paramètres socio-historiques à rappeler pour permettre de comprendre les phénomènes linguistiques originaux que l’histoire coloniale –tourmentée- a engendrés.

2.1 : En dépit de la propagande coloniale de l’époque (et qui a longtemps survécu), la France n’a pas conquis un pays « vierge », sans état, sans structures, avec justes quelques peuplades vivant dans un néant culturel absolu ! Certes, l’Etat vaincu était déjà une régence sous domination Ottomane , la langue arabe y était déjà exclue de tous les domaines de l’administration du fait de la présence turque, mais elle était omniprésente , sous sa forme dialectale dans tous les aspects de la vie quotidienne.

2.2 : Les décrets « Crémieux » ont permis aux tribus juives algériennes autochtones, installées là depuis des siècles d’accéder à la nationalité française. Or, ces tribus, portant souvent des noms arabes étaient parfaitement arabisées et comptaient dans leurs rangs nombres de gens lettrés, sinon érudits aussi bien en Hébreu qu’en Arabe.

2.3 : Les vagues successives de colons –de diverses origines- que la France faisait installer en Algérie, n’atterrissaient pas en terrain linguistique vierge ; bien au contraire, les nouveaux colons devaient très vite faire face à la réalité linguistique du pays pétri de langue et de culture arabes, malgré le côté « apartheid » qu’avait cette colonisation, et le désir des minorités européennes de s’isoler de ceux que l’on appelait les indigènes.

De tout ceci il en découle que les colons, baignant dans un environnement fortement arabisé, eux-mêmes issus d’origines diverses (Italiens, portugais, Espagnols…) ont peu à peu donné naissance à une langue originale, entre la langue de Molière et l’arabe dialectal dans sa version de l’époque, c’est à dire probablement assez proche du classique. C’est ce que nous appelleront par commodité, et faute de mieux « le parler pied-noir ».

Outre les curiosités syntaxiques de ce parler que les rapatriés ont rendu célèbre en France, citons quelques termes qu’ils ont ramenés dans leurs bagages et popularisés en France :

Kaoua

قهوة

Toubib

طبيب

chouia

شوي

bézèf

بالزاف

bled

بلد

Certains socio-linguistes vont jusqu’à dire, que si l’histoire avait évolué autrement et si l’aventure coloniale avait connu un dénouement pacifique et plus constructif, il se serait crée une véritable langue originale à mi-chemin entre le Français et l’Arabe, un peu à la manière du français québécois, toute propension gardée !

Cependant, si ce « parler pied –noir » a laissé des traces indélébiles dans le Français tel qu’il est parlé aujourd’hui encore en Algérie , il a peu influencé syntaxiquement le Français de France, malgré la forte folklorisation d’une certaine culture que les pieds-noirs d’Algérie ont réussi à imposer dans l’hexagone.

Echanges naturels entre langues -1-

Il est de bon ton de rappeler que les langues ne connaissent pas de frontières, que le langage émigre allègrement d’une culture à l’autre et que les langues s’enrichissent mutuellement par delà les différences des rameaux linguistiques, les appartenances religieuses ou ethniques…. Chaque langue absorbe, selon ses propres règles les apports langagiers dont elle a besoin à un moment donné , intelligemment et sans états d’âme dirons-nous.

La langue française, avec la fantastique épopée coloniale a profondément influencé l’arabe moderne, notamment dans les anciennes colonies ou protectorats arabes de la France. Et donc aussi les esprits. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas ici de faire l’apologie du colonialisme ni son procès ; mais de reconnaître un fait objectif, l’influence flagrante de la langue et de la culture françaises notamment dans les pays arabes anciennement sous domination coloniale, donc essentiellement les pays du Maghreb.

Mais ce que beaucoup de Français ignorent, c’est que dans l’autre sens, la langue arabe a toujours « travaillé » la langue française de l’intérieur et en profondeur, et ce, depuis le Haut Moyen-Age ! De plus en plus, avec l’ouverture d’esprit qui se fait progressivement et effectivement en France vis-à-vis de la culture arabe (sans doute à cause des nombreuses alternances gauche-droite, de l’émergence d’une nouvelle génération de français – les beurs- et du poids de l’immigration maghrébine entre autres), on se plaît à rappeler quelques évidences : beaucoup de mots, en Français sont d’origine arabe ; et de citer, en vrac ceux des vocables qui ont eu la chance d’émerger de la masse tant leurs consonances arabes sont flagrantes :

Abricot

البرقوق

Cumin

الكمّون

chimie

الكمياء

algèbre

الجبر

alcool

الكحول

coton

القطن

almanach

المناخ

café

القهوة

chiffre

الصفر

magasin

المخزن

mosquée

المسجد

épinard

السبناخ

… C’est devenu là des lieux communs ! Beaucoup plus d’autres termes très utilisés –notamment dans le domaine littéraire- sont aussi d’origine arabe sans qu’on n’en ait le moindre soupçon :

algarade

الغارة

Génie

جنّي

élixir

الإكسير

arcane

ركن ج أركان